Avec la retraite imminente de milliers de baby-boomers dans les années à venir, un grand nombre de sociétés privées devront préparer leur relève. Ainsi, afin de faciliter le transfert d’entreprise, deux nouvelles mesures fiscales ont été intégrées à la Loi de l’impôt sur le revenu («LIR») depuis le 1er janvier 2024.

Rendre plus accessible le transfert intergénérationnel

La première vise à rendre le transfert d’entreprise à la prochaine génération plus accessible et aussi avantageux fiscalement que la vente à un tiers. Historiquement, il était souvent moins avantageux sur le plan fiscal et plus complexe pour un actionnaire de vendre son entreprise à ses enfants qu’à un tiers, et ce, en raison des règles prévues à l’article 84.1 LIR. Cette règle anti-évitement, a entre autres pour effet de requalifier en dividende le gain en capital qui aurait autrement été réalisé lors de la vente des actions à une société ayant un lien de dépendance avec le vendeur entrainant la perte de la déduction pour gain en capital et le bénéfice du taux d’imposition avantageux du gain en capital[1].

Cette règle visait initialement à empêcher les opérations de dépouillement de surplus, mais il s’appliquait également aux ventes d’actions au sein d’une même famille, compliquant ainsi les transferts intergénérationnels. La communauté fiscale a depuis longtemps réclamé des amendements pour simplifier ces transferts.

Depuis le 1er janvier 2024, ces amendements facilitent le transfert d’une entreprise exploitée activement d’un parent à un ou plusieurs de ses enfants, tout en maintenant les mécanismes anti-évitement pour les opérations de dépouillement de surplus.

On y distingue deux types de transferts :

1. Immédiat – s’apparente à une vente à un tiers

Au moment de la vente, le parent cédant doit transférer à l’enfant ou au groupe d’enfants le contrôle de droit (plus de 50 % des actions avec droit de vote) et de fait de la société et de toute société qui contribue à la valeur des actions vendues, de même que la gestion de chaque entreprise pertinente dans un délai de 36 mois suivant la vente. Pendant cette période, l’enfant ou les enfants doivent aussi conserver le contrôle de l’acheteur et participer activement aux activités de l’entreprise.

2. Progressif – s’apparente à une vente dans un contexte de gel successoral

Au moment de la vente, le parent cédant doit transférer à l’enfant ou au groupe d’enfants le contrôle de droit de la société et de toute société pertinente, mais peut conserver le contrôle de fait. Dans les 10 ans suivant la vente, la valeur de l’intérêt résiduel du parent (ex. : solde du prix de vente ou actions privilégiées sans droit de vote) doit être réduite à 30 % (ou à 50 % pour les sociétés agricoles ou de pêche). La gestion doit être transférée à l’enfant ou aux enfants dans un délai de 60 mois, qui, pendant cette période, doivent conserver le contrôle de l’acheteur et participer activement aux activités de l’entreprise.

Pour les deux types de transferts, les conditions générales suivantes doivent aussi être remplies :

  • Le parent est un particulier et non une fiducie (pour éviter la multiplication de la déduction pour gain en capital).
  • L’enfant prend le contrôle de la société après la vente.
  • Il s’agit d’actions admissibles d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale.
  • Le parent ne détient pas directement ou indirectement 50 % ou plus d’une catégorie d’actions de la société ou de toute société pertinente après la vente, sauf pour les actions privilégiées sans droit de vote respectant certains critères (ex. : actions de gel).
  • Les actions participantes et avec droit de vote sont entièrement transférées à l’enfant ou au groupe d’enfants dans un délai de 36 mois, à l’exception des actions privilégiées sans droit de vote.
  • Le parent et l’enfant ou le groupe d’enfants font un choix conjoint sur un formulaire prescrit.

Si toutes les conditions sont remplies, la vente des actions ne sera pas considérée comme ayant été effectuée à une société ayant un lien de dépendance avec le parent, ce qui évite la requalification du gain en capital en dividende et permettra au parent de bénéficier, à certaines conditions, de la déduction pour gain en capital. De plus, la période pour laquelle le parent peut demander une provision pour gain en capital est étendue à 10 ans.

Grâce à cette mesure, les enfants ont la possibilité de structurer l’acquisition de manière à ce qu’une partie du prix de vente soit financée par les activités de la société, ce qui était difficilement envisageable avant ces nouvelles règles.

Simplifier le transfert d’entreprise aux employés

La deuxième mesure permet, depuis le 1er janvier 2024, de faciliter l’acquisition de l’entreprise par les employés sans qu’ils aient à payer directement le prix des actions, grâce à la fiducie collective des employés. Bien que probablement d’utilisation moins répandue que le transfert intergénérationnel d’entreprise, elle constituera très certainement une option intéressante dans certaines industries où la continuité et l’engagement des employés sont essentiels.

Une fiducie collective des employés est une fiducie qui détient les actions de l’entreprise au profit du personnel, celle-ci doit respecter quelques critères pour que la vente des actions constitue un transfert admissible et bénéficie des incitatifs fiscaux, notamment :

  • La fiducie est résidente du Canada et exclusivement au profit d’employés actuels ou anciens.
  • La participation au capital et aux revenus des bénéficiaires est déterminée de manière équitable, en fonction des heures travaillées ou de la rémunération, avec certaines limites.
  • Les fiduciaires ne peuvent exercer aucune discrétion pour agir dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou d’un groupe de bénéficiaires.
  • Au moins le tiers des fiduciaires est un membre du personnel.
  • La totalité ou presque de la valeur des biens de la fiducie est attribuable aux actions de la société.

Pour le vendeur, les nouvelles règles prévoient un avantage fiscal significatif : une déduction pour gain en capital pouvant aller jusqu’à 10 millions de dollars pour les ventes d’actions admissibles à une fiducie collective des employés effectuées entre le 1er janvier 2024 et le 31 décembre 2026.

De plus :

  • Pour permettre à une fiducie collective des employés de payer le produit de la vente des actions sur une plus longue période et d’ainsi en faciliter le financement, la durée de provision pour gain en capital dont le vendeur pourra bénéficier est prolongée à 10 ans.
  • Un actionnaire d’une société qui reçoit un prêt consenti par celle-ci est normalement tenu d’inclure le montant du prêt à son revenu imposable si celui-ci n’est pas remboursé dans l’année. La période de remboursement d’un prêt effectué à une fiducie collective des employés est prolongée à une période de 15 ans avant que la fiducie soit requise d’inclure le montant à son revenu imposable.
  • Une fiducie collective des employés n’est pas assujettie à la règle de disposition présumée de l’ensemble de ses actifs à son 21eanniversaire aussi longtemps qu’elle se qualifie à ce titre.

En optant pour un transfert à une fiducie collective des employés, les entrepreneurs pourront non seulement garantir un transfert harmonieux de leur entreprise, mais également stimuler la fidélité et l’engagement du personnel, et optimiser les aspects fiscaux de la transaction.

Des solutions avantageuses pour la succession d’entreprises

Bref, ces récentes modifications fiscales apportent des solutions cruciales pour la succession d’entreprises au Canada, simplifiant et rendant le processus plus avantageux, tant au sein des familles qu’entre les employés. Elles offrent aux entrepreneurs des solutions de rechange intéressantes à la vente à des concurrents ou à des fonds d’investissement dans l’objectif de préserver le capital canadien et d’encourager la stabilité des entreprises, leur permettent de planifier leur succession de manière stratégique, tout en octroyant aux nouveaux acquéreurs des conditions favorables pour prendre les rênes avec succès.

Cet article se veut un survol de ces nouvelles règles dont l’application demeure toutefois complexe. Pour analyser les différentes options possibles, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe spécialisée en fiscalité afin de prévoir l’achat ou la vente de votre entreprise.


[1] Le taux d’inclusion du gain en capital a été augmenté depuis le 25 juin 2024 de 50% à 2/3.