Dans l’affaire récente Enns v. The King, 2023 CCI 28, la Cour canadienne de l’impôt s’est demandé si le terme « époux » à l’alinéa 160(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] [« LIR »] visait aussi le veuf ou la veuve de l’auteur d’un transfert débiteur d’impôt. L’article 160permet à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») de récupérer de l’argent qu’un contribuable débiteur a transféré à une personne avec qui il a un lien de dépendance[2].
Contexte
Marlene Enns était désignée comme unique bénéficiaire du régime enregistré d’épargne-retraite (« REER ») de son mari. Après le décès de M. Enns en 2013, la juste valeur marchande de 102 789,52 $ du REER a été versée à Marlene, qui l’a transférée dans son propre compte de retraite immobilisé.
Le 12 avril 2017, la ministre du Revenu national a établi la cotisation de Marlene aux termes de la LIR relativement à l’obligation fiscale de la succession de M. Enns à 146 000 $, en tenant compte des années d’imposition de M. Enns de 2004 à 2012. Selon la ministre, Marlene était responsable de la dette fiscale due à l’ARC en sa qualité d’épouse de M. Enns conformément à l’alinéa 160(1)a) de la LIR, qui prévoit ce qui suit :
Lorsqu’une personne a […] transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes : a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait; […] d) le bénéficiaire du transfert et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert […] pour chaque année d’imposition […]
Selon Marlene, lorsque les fonds du REER lui ont été transférés à la mort de M. Enns, elle a cessé d’être son épouse et est devenue veuve. Dans l’affaire Enns v. The King, la question était donc de savoir si, au décès de son mari, Marlene avait cessé d’être une épouse pour l’application de l’alinéa 160(1)a) de la LIR.
Cour canadienne de l’impôt – Analyse et décision
La Cour a examiné deux décisions antérieures abordant la notion d’« époux » dans le contexte de l’alinéa 160(1)a) de la LIR.
Dans l’affaire Kiperchuk c. R., 2013 CCI 60, il a été conclu que le mariage prenait fin au décès d’un époux, de sorte que le survivant n’en était plus un pour l’application de l’alinéa 160(1)a). La cotisation établie en vertu de l’article 160 pour la veuve a donc été jugée invalide.
Dans l’affaire Kuchta c. R., 2015 CCI 289, la Cour a procédé à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique du terme « époux » et conclu que le veuf d’une personne décédée était encore son « époux » pour l’application de l’alinéa 160(1)a). Par conséquent, la cotisation établie en vertu de l’article 160 qui était portée en appel a été jugée valide, et la veuve devait payer la dette fiscale de son défunt mari.
Conformément au principe de la courtoisie judiciaire, dans l’affaire Enns v. The King, la Cour a suivi la décision Kuchta et conclu que Marlene était l’épouse de son défunt mari au moment où les fonds du REER lui ont été transférés. Ces fonds étaient donc accessibles à l’ARC.
Conclusion
La décision Enns semble élargir l’accès à la masse successorale dont dispose l’ARC lorsque la succession a une dette fiscale. Les experts en planification successorale devraient donc indiquer à leurs clients qu’un compte enregistré désignant un époux comme bénéficiaire n’est pas toujours « transmis en dehors de la succession »[3].
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[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.).
[2] L’ARC peut tenir l’auteur du transfert solidairement responsable de l’impôt que le contribuable doit payer si les facteurs suivants sont réunis : 1. L’auteur du transfert est tenu de payer des impôts en vertu de la LIR au moment du transfert. 2. Il y a eu un transfert de bien. 3. Le bénéficiaire du transfert est l’époux de l’auteur, une personne âgée de moins de 18 ans ou une personne avec laquelle l’auteur avait un lien de dépendance (comme son enfant). 4. La contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert pour les biens transférés au moment du transfert est inférieure à la juste valeur marchande des biens transférés. Voir : Canada c. Livingston, 2008 CAF 89, paragr. 17. Voir aussi : Carolyn S. Inglis, « Third party tax assessments and death », Gestion de patrimoine, 9 juin 2020.
[3] Un bien est « transmis en dehors de la succession » lorsqu’il est distribué ou cédé directement à un copropriétaire survivant ou, dans le cas des régimes enregistrés, à un bénéficiaire désigné au décès du titulaire sans qu’un testament homologué soit nécessaire.
[A1]Typo in this name in the English text (the “s” is missing at then end).